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Re: R.I.P Laurent Fignon

MessagePublié: 01 Sep 2010, 21:04
par Sugar2
Patrick Chassé a écrit:Là-haut... Fifi de St Momo

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Coppi est mort, il y a 50 ans. Fignon est mort à 50 ans. Deux champions fauchés brutalement dans l'exercice d'une vie d'exception. Et ce ne sont pas les seuls. On n'explique pas une passion de gamin, mais Fignon m'aura permis de la comprendre. Il m'a tout appris du vélo de mon enfance.

Je n'ai pas connu Coppi, mais j'ai largement copié Fignon.
Parce que ses parents habitaient à quelques kilomètres des miens. Parce qu'il avait remporté toutes les courses de clocher des environs, où je rêvais de lever les bras à mon tour. Parce qu'il avait cette élégance sur son vélo, cette fluidité dans le vent et les feuilles mortes, qui m'avait séduit lors de sa fugue en solo dans le final de Blois-Chaville en 1982. Ce jour-là, à l'automne de sa première saison pro, le ton était donné. Un vrai sens tactique, mais aussi une sacrée férocité, à en rompre les manivelles de son pédalier Campa.
Celle de droite céda la première...

Ceux de ma génération pédalante aussi, l'ont tous copié.
Parce qu'il ne portait plus de maillots en laine, ni de cuissard à mi-cuisse. Parce que l'on pouvait être hypermétrope sans perdre de vue ses rêves. Je travaillais tout l'été pour dépenser en intégralité mon modeste salaire chez le marchand de cycle qui lui me voyait très bien arriver de loin.
On fantasmait devant sa vitrine sur le beau Reynolds 531, bleu Gitane, comme celui d'Hinault et de Fignon. On comparait les prix du « Campa Super-Record » avec ceux du « C-Record » (de toute façon, les deux étaient hors de prix). On commandait chez Marcarini par correspondance le casque à boudins noir et jaune. Et l'on ne voulait poser ses fesses que sur une selle San Marco Concor « en forme de goutte d'eau ».
Un peu plus tard, quand Fignon a utilisé un cintre avec les manettes noires Modolo et les gaines de freins intégrées, on a tous commencé à faire des trous dans nos guidons pour bricoler à l'identique. Moi je n'ai jamais brisé de manivelles, mais je sais pourquoi un dimanche j'ai plié mon cintre en plein effort !

J'avais à peine 18 ans. un jour d'entrainement solitaire, sur les routes ombragées de Seine-et-Marne, je l'ai enfin aperçu. En vrai. Je me suis glissé dans sa roue pendant quelques minutes. Il roulait à peine trop vite pour moi. Rien de bougeait. Ni ses épaules, ni son buste. Je n'entendais que le contact feutré de ses pneus sur la route. Le tout brassé par le souffle de ma respiration. Au bout d'un bon quart d'heure silencieux, on arrive à un carrefour. il se retourne vers moi :
- « Tu vas me suivre longtemps comme ça ? »
Pétrifié, je le regarde partir, faisant mine d'hésiter sur le chemin à suivre. J'étais à la fois impressionné et terriblement vexé.

Longtemps plus tard, alors qu'il vivait déjà à St Maurice (94), je lui avais révélé le souvenir de cette histoire, on en avait bien ri.

Oui, il y avait surement du Coppi dans Fignon, une distance naturelle avec son public qui n'autorisait aucune familiarité et qui masquait surtout une grande timidité. Tous les deux auront été victimes de leur fragilité, probablement moins visible chez Laurent.

Surtout quand, en pleine santé, il me répétait : « Tu n'imagines pas l'étendue des ressources du corps humain ». Lui n'imaginait pas à quel point une maladie pouvait se montrer pugnace.

Laurent a commenté sur Eurosport pendant 10 ans à mes cotés. Il s'est fâché avec tous les patrons successifs de cette maison (avant de se fâcher aussi avec moi). Probablement aimait-il faire la démonstration de son esprit libre. Quitte à ne pas toujours être compris.

Aussi doué était-il, Fignon n'a pas pu réaliser tous ses projets. Pourtant il fallait une certaine dose de courage pour racheter sur ses fonds propres une course cycliste comme Paris-Nice, quelques mois après l'affaire Festina. Du courage mais surement pas de l'inconscience, car ce binoclard voyait bigrement clair en affaire. Laurent Fignon aurait très bien pu diriger le Tour de France, mais personne ne lui a jamais proposé. Il aurait pu aussi faire évoluer ce sport, car il ne manquait pas d'idées, mais l'UCI ne l'a jamais consulté. Quand il regardait quels anciens coureurs figuraient au sein des différentes commissions de la Fédération internationale, il s'esclaffait : « Dans ce sport, on ne donne la parole qu'à ceux qui n'ont rien à dire...»

Ce qui rendait Fignon antipathique aux yeux d'un grand nombre, c'était son extraordinaire capacité à alimenter, en arguments cinglants, ce sens inné de la contradiction. La vérité n'est pas toujours agréable à entendre. Mais dans ce cas, la démonstration d'une vérité avérée, c'est encore pire.

Il valait mieux cotoyer le Fignon rigolard, prêt à tous les canulards avec son complice des années Renault, Vincent Barteau. Chacun des deux râlait en permanence sur les défauts de l'autre, mais ceux-là ne pouvaient jamais se quitter durablement et c'est l'envie de rire qui les réunissait à nouveau.

Je ne dirai jamais assez à quel point j'ai eu la chance de partager la voiture du Tour en leur compagnie. Même si c'était parfois très fatigant pour un homme très ordinaire.

Lors du dernier chrono du Tour 96, dans les vignes de St Emilion, près de Bordeaux, nous étions partis repérer le parcours derrière l'un des premiers coureurs à s'élancer. Un motard du cru, bénévole pour la circonstance au guidon de sa splendide Harley Davidson en cuir véritable, n'avait pas tout à fait compris ce que l'on attendait de lui. Censé ouvrir la route au coureur, il s'était pourtant placé juste derrière et non devant lui.
Fignon au volant monte alors à sa hauteur :
- « Pourquoi ne vous placez-vous pas devant le coureur ? »
- « Pour pas que l'on me reproche de l'abriter ! », répondit le motard.
- « Vous n'avez pas lu le communiqué distribué ce matin aux suiveurs, enchaina Fignon, en saisissant une feuille blanche à portée de main ? Il est stipulé qu'aucun véhicule ne doit s'approcher à moins de 50 mètres des coureurs sous peine de sanction. Vous avez de la chance que je ne sois pas commissaire de course, sinon le gamin aurait écopé d'une pénalité ».
Le motard reconnaissant s'exécuta illico et ralentit pour laisser un écart d'une cinquantaine de mètres.
Plus tard, de la tribune Eurovision sur la ligne d'arrivée, nous étions en train de commenter le final de ce contre-la-montre avec tous les favoris en action.
Les images défilaient, montrant en plan serré le grimaçant Fernando Escartin qui se battait pour une hypothétique 7ème place au classement final. Il faisait mal à voir.
- « On a envie de lui jeter un sucre ! », ironisa Fignon.
Sur la vue aérienne suivante, à notre stupeur, nous remarquâmes que personne ne suivait le coureur. Pas d'oreillette à l'époque. Escartin naviguait donc à vue.
Zoom arrière : on finit par comprendre. A 50 mètres, derrière on aperçoit la voiture d'Alvaro Pino, fou furieux (c'est fréquent chez lui...). Le directeur sportif de Kelme est aux prises avec un motard tétu qui refuse obstinément de se laisser doubler...
Ce fut l'un de nos plus beaux fous-rires étouffés.

Je me souviens aussi de Paris-Nice 2001. Je commentais avec Jean-François Bernard, et nous avions le retour de Radio-Tour dans le casque. Fignon, devenu patron de l'épreuve, était bien sûr piloté par Vincent Barteau. Aux confins de la Drôme et des Alpes de Haute Provence, la course traverse la localité de Montfroc. Gilbert Duclos Lassalle, directeur de course, annonce très stoïque :« les coureurs entrent dans Montfroc ». Hilarité générale dans la file des voitures suiveuses. Fignon s'empare du micro : « Gilbert n'oubliez pas de nous signaler quand vous sortirez de Montfroc ! »
Inévitablement, Barteau enchaîne avec son sens très personnel de la formule : « Messsieurs, accélérez à l'avant, ça peut pêter à tout moment dans Montfroc... ».

Fignon avait plutôt la formule cinglante. Surtout à l'égard de ses semblables. Au Futuroscope, lors du prologue du Tour 2000, il voit un jeune coureur de Cofidis franchir la ligne d'arrivée, mains en haut du guidon, combinaison ouverte jusqu'au nombril.
- « Je me mets à la place du technicien qui a conçu cette combinaison, dans les moindres détails, pour améliorer la pénétration du coureur lors de l'exercice chronométré, je me mets à la place de tous ces gosses qui s'identifient aux coureurs, Comment peuvent-ils se faire une idée du privilège qui est le nôtre en voyant ce môme désabusé terminer en roue libre sa première journée sur le Tour. Ne perdez pas votre temps à retenir son nom, celui-là, il ne fera jamais carrière ! »
A votre avis, se trompait-il ?

On entend parfois dire que les champions n'ont pas eu d'enfance. J'ai toujours pensé, au contraire, qu'ils avaient trouvé un bon prétexte pour ne pas grandir trop vite. Mes champions préférés ont tous gardé leur âme de chenapans. Et bien-sûr Laurent n'était pas l'un des moindres.

A propos, où est-il encore passé ce sacré garnement ? Si l'on reçoit à nouveau sur notre forum un message de « lolofifi de St Momo », au moins on saura qu'il nous écoute...

PCh.

eurosport.fr




A croire que LF postait des messages sur le forum de cyclisme d'eurosport sous le pseudonyme "lolofifi de St Momo" :D

Re: R.I.P Laurent Fignon

MessagePublié: 02 Sep 2010, 01:01
par Mista-Flo
Très belle anecdotes :D

Re: R.I.P Laurent Fignon

MessagePublié: 09 Sep 2010, 14:21
par Jésus de Nazareth
C'est déprimant ! J'ai appris sa mort dans le train qui revenait du bizutage, on était coupés du monde alorq quand j'ai vu une femme avec un journal et Fignon en une, je lui ai demandé de me le passer, et c'est dur de revenir si brutalement à la triste réalité ! Fignon va nous manquer