Samedi 31 Décembre 2011, 23h50, La Havane, Cuba.
Il restait 10 minutes avant minuit et la fête bâtait son plein dans les locaux du Parti Communiste de Cuba. Nous étions invités par Fidel Castro à la fête, mais celui ci, de part son âge avancé et sa santé vacillante, n'avait pas pris part aux festivités. En temps normal, j'aurai passé la soirée avec mes amis sur la plage à Miami, mais mon destin en avait décidé autrement. Et pourtant, je ne le savais pas encore, mais ce qui allait se passer allait marquer ma vie à jamais. J'allais entrer dans une histoire à laquelle je n'aurai jamais pensé être mêlé. Mais vous savez, je suis un spécialiste des embrouilles en tout genre ... Il n'y avait pas de mondanités ici, pas comme chez moi, la plupart des dignitaires portaient la tenue militaire arborant fièrement leurs médailles et autres décorations socialistes. Un verre de Mojito a la main, d'ailleurs en y repensant c'est peut être le Mojito qui m'attire des ennuis, j'esquissais quelques pas de danse patauds qui démontraient mon absence de rythme devant les déhanchés assez bouleversants des cubaines. Soudain, une main lourde se posa sur mon épaule. Surpris, je me suis alors retourné rapidement, et me suis retrouvé nez à nez avec les poils de torses dépassant de sa chemise entrouverte d'un molosse à la mine assez peu recommandable. Par réflexe et n'écoutant que mon courage, je tendis vers l'homme les quelques dollars qui traînaient dans ma poche. Première erreur cuisante de la soirée, il s'en saisit, les examina avant d'y mettre le feu à l'aide du briquet qu'il cachait dans la poche de sa chemise. Ma réaction fut elle aussi une erreur : "Hé !! Mais [Censuré parce qu'on ne traite pas les mamans], 150 dollars ! T'es complètement [Censuré aussi du coup] !". C'est à ce moment précis que j'ai traversé la foule sans trop m'en rendre compte, soulevé par les deux mains puissantes, avant d'être jeté au pied d'un militaire. Le gros bonhomme et le militaire échangèrent des mots en espagnol, j'ai juste compris "capitaliste", "cochon", et plein d'autres trucs qui me laissaient comprendre que j'allais passer un mauvais quart d'heure. Par chance, un colonel ou quelque chose comme ça, est venu à ma rescousse. Le gros me lâcha et je me suis donc relevé, le pantalon couvert de poussière. Le colonel posa fermement sa main sur mon épaule, un sourire au coin de ses lèvres tenant un cigare, puis du coin de la bouche, il m'adressa quelques mots en anglais de son fort accent cubain : "Tu as encore beaucoup à apprendre chico !". La joie s'éleva alors dans la petite foule qui entama un décompte des dix dernières secondes avant la nouvelle année sous la belle lune du ciel cubain.
"10,9,8,7,6,5,4,3,2,1, ... Fel...BROOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOM" Un son qui résonnera longtemps dans mes oreilles, mais aussi des images qui me resterons collée à la rétine. Cette image de joie, puis ces cris de terreur devant la bête qui fendait le ciel. "Es un dragón!" Un dragon ? Je voyais dans le ciel cette chose enflammée transpercer la nuit qui devenait jour sous sa chaude lumière brûlante. Puis il plongea en direction de la foule, qui entra dans une folie furieuse, dans une panique horrible. Les filles qui se déhanchaient tentaient de fuir, le colonel restait digne à côté de moi, stoïque, alors que je ne savais que faire. Me planquer ? Mais où ? Courir ? Mais où ? Lorsque le dragon passa en rase-motte au dessus de la fête beaucoup se jetèrent au sol par réflexe, c'est ce que je fis aussi, pendant que le colonel gardait le torse bombé, les mains dans le dos. Au travers du bruit de l'air fendu par la masse de l'animal légendaire, une voix profonde se faisait entendre et se lamentait : "Je reviendrais ! Vous m'avez oublié ! Mais je ne vous ai pas oublié " avant de lancer en répétant "355 ! 355 ! 355 ! 355 ! 355 ! 355 ! 355 !" Puis dans un vacarme semblable a celui dans lequel il était arrivé, le dragon de feu disparu.
Un silence pesant régna bien que la foule était toujours en panique. C'était mes tympans qui avaient été choquées par le bruit, laissant dans ma tête l'impression d'avoir passé une nuit entière l'oreille contre les caissons de basse d'une boite de nuit. Les cris revinrent peu à peu à moi, alors que je restais complètement abasourdi au niveau du sol, tentant de reprendre mes esprits devant le cauchemar grandeur nature que je venais de faire. Et le colonel était là, toujours aussi imperturbable, il cherchait du regard d'autres soldats. Soudain, au bout de la place, sept grands hommes traversèrent la foule. Ils s'approchaient à pas lent des bâtiments appartenant au Parti Communiste, sans se soucier de ceux qui paniquaient. Ils portaient une longue cape noire, et leurs visages étaient cachés par des capuches couvrant leurs yeux et laissant le bas de leur visage dans l'ombre. Ils pénétrèrent dans l'enceinte. C'est alors que ma curiosité me poussa à commettre ma troisième erreur de la soirée, puisque j'ai décidé à cet instant précis de les suivre. Je restais éloigné pour qu'ils ne se sentent pas suivi, profitant de la débandade et de la panique pour me faufiler. Enchaînant couloirs et escaliers, ils pénétrèrent dans une grande salle aux portes massives avant de les refermer derrière eux. J'étais alors devant la porte, cherchant un moyen de voir ce qui se passait dans cette pièce. Juste à côté, il y avait un couloir, qui menait à un grand balcon. Juste à côté, il y avait la salle et ses quatre fenêtres. Je ne sais pas alors pourquoi la curiosité était aussi forte, mais j'ai escaladé le balcon, et ai fait quelque pas sur la corniche pour accéder à la fenêtre. De là, je voyais enfin ce qui se tramait. Il y avait là Fidel Castro, assis dans un fauteuil, son frère Raùl debout, une femme que je ne connaissais pas, et les sept hommes en noir. Celui du centre posa ses mains sur les bords de sa capuche, et l'ôta laissant découvrir son visage. Il n'y avait pas de doute, c'était le Général Shabran de Candor.