Merci beaucoup !
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Journal intime de Seweryn Szymaszek
25 janvier 2013
La découverte qui me glaça l’échine Ça craint mais je crois que Johan Bruyneel m’a à la bonne. Il est vrai que, contrairement à mes petits camarades bisons et conformément à mes principes, je ne l’évite pas, je ne lui réponds pas d’un air renfrogné, bref je ne le juge pas et lui laisse sa chance. C’est un peu douloureux, mais s’il y a bien un principe que je souhaite respecter, c’est bien celui-ci.
Ainsi, le nouveau manager me regarde souvent lorsqu’il s’adresse au groupe, il me demande mon avis sur le programme d’entrainement, il m’interroge sur le ressenti de l’équipe sur telle décision, il m’invite dans son restaurant favori de Varsovie, et j’en passe. J’ai d’ailleurs la très nette impression que les bisons commencent à m’éviter, ils doivent me prendre pour l’espion du boss, ou quelque chose dans le genre. Même Sebastian devient neutre et froid à mon encontre.
Par exemple, hier soir, il est allé manger avec Edyta et ma sœur Weronika, sans me prévenir ! Nous vivons dans le même appartement, c’est mon meilleur ami, il aurait pu me téléphoner au moins. D’un naturel parano et méfiant, et bien pour le coup, celui-ci est revenu au sprint massif ! Et comme souvent, dans ce genre de situation, je me referme dans ma coquille et me complais dans ma solitude. Aujourd’hui, pourtant, j’ai fait une découverte inquiétante qui pourrait tout changer.
Depuis quelques semaines, M. Bruyneel me demandait de réceptionner des colis Chronopost. Il faisait régulièrement des commandes par internet, et comme il s’absentait pour suivre les courses des bisons, il mettait mon adresse pour la livraison des paquets. Puis je les transmettais en main propre au manager, qui me remerciait avec un clin d’œil et une tape amicale dans le dos pour ma précieuse aide. Il devait avoir remarqué que, derrière mon look de rebelle, se cachait un jeune homme obéissant et frustré. Alors en réceptionnant les commandes, j’imaginais qu’il s’agissait de fringues, d’objets divers sans intérêt, j’avais beau secouer les cartons lors des premières réceptions, ma promesse de garder les colis fermés m’obligea à censurer ma curiosité…
Ce matin donc, passablement énervé par mon isolement dans l’équipe, je reportais ma colère sur moi-même et mon manager. On sonna à la porte de l’appartement, Sebastian se promenant à l’extérieur avec Weronika, j’ouvris, le livreur me sourit brièvement et me tendit le colis, « je suis en double-file et le bus est bloqué, bonne journée ». Je n’eus même pas le temps de signer le bon de livraison… ce qui me donna une idée sournoise. J’avais les mains libres pour ouvrir le paquet, il me suffisait d’affirmer qu’aucune livraison n’avait été effectué, ces incapables de Chronopost devait avoir perdu le produit en cours de route. Nyark nyark !
Avec un couteau, j’ouvris le colis avec précaution, je commençais à regarder autour de moi et vérifier si une caméra cachée ne m’épiait pas. La facture indiquait des produits bizarres, comportant des chiffres, des codes incompréhensibles. L’expéditeur chinois n’arrangeait rien à l’affaire. J’ouvris l’étui en plastique, mes pires craintes se confirmèrent, je découvris des flacons mystérieux issus visiblement de l’industrie pharmaceutique et des seringues jetables. L’étiquette des flacons indiquait soit GW1516, soit TB500, je fronçais les sourcils en tournant et retournant l’objet dans tous les sens.
« Put%*$, je le savais que tu te droguais… » A l’accusation de Sebastian, entré en silence dans l’appartement, je sursautai, le cœur battant la chamade. La mine soucieuse de mon ami me rassura, je décidai de briser la glace et lui expliqua les raisons de mon stress matinal. Pendant qu’il étudiait la facture et les produits, je recherchais sur le web les mots-clés et la lecture des premiers liens me firent froid dans le dos. Ces produits qui amélioreraient les performances n’ont même pas été testés sur des hommes, on ne connait pas les conséquences de leurs consommations et le manager veut qu’on les utilise ?! J’étais secoué, mon corps tremblait et cherchait dans ma mémoire défaillante si un membre du nouveau staff eut pu nous injecter ce produit à notre insu. Je commençais à me demander si mon isolement et ma colère récents n’étaient pas le résultat d’un effet secondaire, mais, pour une fois, j’étais rassuré de disposer d’un naturel acariâtre, je n’ai pas besoin de produits chimiques pour devenir débile, maladroit et égocentrique. Ouf !
Maintenant, il va falloir convenir d’un plan d’action, subtil si possible, il est urgent de prendre le temps de bien réfléchir, nous ne savons pas jusqu’où le manager pourrait aller, ni jusqu’où le sponsor au bison pourrait le couvrir… Nous ignorons si d’autres coureurs sont dans la confidence. Par ailleurs, Bruyneel m’utilise comme un petit chiot. Si le pot-au-rose est découvert, il pourra toujours nier et m’accuser de trafic de produits dopants car seul mon nom apparait sur les documents officiels. Il va vraiment falloir être subtil…
Pendant qu’un silence s’imposait dans notre réflexion, Sebastian se tourna vers moi et m’interrogea : « Mais alors au fait ? Tu te drogues ou pas ? ». Mais bordel, j’ai une gueule de junkie ou quoi !