Nous sommes actuellement le 22 Mai 2024, 10:15


[Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro - fini !

Modérateurs: Cyanide Team, Story Staff, Bigben Team

  • Auteur
  • Message
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

velophile

  • Messages: 6
  • Inscrit le: 17 Mars 2014, 16:10

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message31 Mars 2014, 14:27

c cool, continue ! :D
« Cyclistes, fortifiez vos jambes en mangeant des oeufs mollets. »
de Pierre Dac
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message05 Mai 2014, 14:20

Je continue (encore un peu) ;)

--
Journal intime de Seweryn Szymaszek

3 décembre 2012
Une belle fin


Comme on dit, un malheur n’arrive jamais seul. Le minibus a suivi son maître dans son trépas. Atteignant l’âge canonique et honorable de 390 000 kms au compteur, le véhicule a longtemps toussé, vibré, chauffé, puis un jour, il n’a plus redémarré. Mon copain Wolak l’avait mis sous perfusion déjà depuis longtemps, mais cette fois-ci, à l’issue d’un dernier examen, il acheva par un regard triste et les mains encrassées : « C’est fini. »

Décidément, l’équipe tourne une page en cette fin d’automne 2012. Nous avons imaginé les meilleurs moyens de ne pas mettre à la casse ce chef d’œuvre de l’art communiste polonais : l’exposer dans un musée, le placer dans le jardin d’une maison de retraite, en faire un jeu pour les enfants, le transformer en chambre d’hôte vintage. Mais c’est finalement Maciej, en capitaine de route et amoureux des voitures, qui a souhaité garder le minibus dans son jardin. Sa femme grogna plusieurs semaines, mais finalement s’en accommoda très bien pour ranger le matériel de jardinage et étendre le linge. Une fin digne.
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message06 Mai 2014, 16:20

Journal intime de Seweryn Szymaszek

20 décembre 2012
A merry Christmas


Sebastian et moi sommes colocataires dans un petit appartement de Varsovie depuis près d’un an. Au 6ème étage sans ascenseur, nous avions comme voisins de palier un vieux couple grincheux qui terrorisait l’ensemble de l’immeuble. Même notre gardien fuyait ce couple comme la peste. Ils frappaient à notre porte toutes les semaines environ, la plupart du temps, ils ne prenaient pas la peine de chercher bien loin un prétexte pour frapper à notre porte, il suffisait d’exiger que nous baissions le son de la télé, nous leur montrions l’objet éteint, cela ne les déstabilisait pas le moins du monde. « Faites moins de bruit, c’est tout, bonne nuit ! », « Mais il est 17h madame… » répondions-nous dans le vide car nos voisins avaient déjà claqué leur porte. Nous estimions que le harcèlement représentait l’unique raison d’être de ces deux tristes gens.

Il fallait trouver une solution. Sebastian a décidé de monter une résistance secrète contre nos deux bourreaux. Grâce à l’aide de certains voisins solidaires, nous avons inversé le harcèlement : des souris et des araignées gigantesques se sont malencontreusement introduites dans leur appartement, nous lancions des boules puantes régulièrement et attirions les pigeons sur leur balcon, des voix venus d’outre-tombe s’infiltraient dans l’immeuble par les tuyaux, etc. C’était mal mais c’était bon ! Lorsque le couple fatigué commença à se disputer violemment, nous frappions à leur porte pour exiger du silence, tout en leur invitant humblement à voir un conseiller conjugal. Celui-ci, le grand-oncle d’un voisin, leur conseilla de déménager pour améliorer la situation de leur couple. Celui-ci s’exécuta au grand bonheur des habitants de l’immeuble, le couple ne comprit pas pourquoi nous avions organisé une grande fête le jour du départ.

Un bonheur n’arrive jamais seul, Edyta et Weronika se lassaient de Poznan. Elles ont décidé de venir nous rejoindre à la capitale. Nous leur avions parlé de notre rébellion contre nos voisins et leur avons informé que celui-ci était désormais libre ! Après avoir harcelé (chacun son tour !) l’agence immobilière, mon amie d’enfance et ma sœur sont devenus nos voisines de pallier. Cela me rappelle furieusement une célèbre série des années 90 ! Après avoir déménagé et acheté les meubles manquants, nous avons fait un grand repas à quatre, c’est comme si nous ne nous étions jamais quitté. C’est à la fois une grande joie et une immense frustration d’avoir Edyta à quelques mètres de moi. En lisant dans mon esprit, Weronika me fit les gros yeux et m’interdît formellement toute visite nocturne, « Notre porte sera fermée à partir de 22h, défense de gratter à la porte comme un petit chien, surtout toi Seb, je te connais ! » Mon camarade s’insurgea en vain.

Grâce à ses économies accumulées en tant que caissière de supermarché à Poznan, Edyta décida de se consacrer à sa passion, le dessin et le graphisme. Elle se paya un bel ordinateur portable avec tous les logiciels indispensables et se lança dans un blog d’inspiration autobiographique qu’elle voudrait hypertendance. Comme Varsovie n’est pas New York ou Paris, j’ai un gros doute, mais comme je l’aime, je l’encourageai de tout mon cœur. Weronika, ma sœur un peu garçon manqué, trouva un job de conductrice de bus à la ZTM, la compagnie de transport en commun locale. Elle nous dit qu’elle s’éclate bien à déraper sur la neige et, ma fois, connaissant son humeur exubérante et un peu folle, je la crois volontiers !

En cette fin décembre, nous nous promenions, bras dessus bras dessous, dans les rues enneigées et dynamiques du centre Varsovie, Franck Sinatra fredonnait une belle chanson dans ma tête, je répétais la mélodie à mon tour, Edyta me lança une boule de neige pour me faire taire et s’engagea une véritable bataille au milieu des passants outrés. C’était le plus beau Noël de ma vie.

Image
Varsovie sous la neige.
Dernière édition par LeRat le 06 Mai 2014, 16:26, édité 2 fois au total.
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message06 Mai 2014, 16:22

Journal intime de Seweryn Szymaszek

4 janvier 2013
And a happy new year


Je ne peux m’empêcher d’adjoindre à ce petit journal le portrait dessinée par Edyta lors de la soirée du 31 décembre dernier.

Image
Pas du tout ressemblant, mais alors pas du tout !
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message07 Mai 2014, 09:59

Journal intime de Seweryn Szymaszek

15 janvier 2013
Le renouveau avorté


La beuverie de presse annuelle se tint cette année dans un grand auditorium de Varsovie, Zubrowka voit grand, il lui fallait donc une immense salle pour accueillir les centaines de journalistes invités. L’arrivée d’un manager de renom, accordée aux projets ambitieux du sponsor, devait inévitablement attirer les grands cyclistes polonais. Cette présentation 2013 devait symboliser la première marche vers le World Tour et le haut niveau mondial. Hélas, les choses ne se passèrent pas comme prévu.

Johan Bruyneel et Zubrowka avaient mal compris les répercussions de l’affaire Armstrong et sa médiatisation mondiale. L’argent ne coulerait plus à flot comme auparavant dans le vélo professionnel, les coureurs avaient peur que leur noms soient associés à d’autres. Ainsi, lorsque Zubrowka prit contact avec les meilleurs coureurs polonais, tels que Niemiec, Szmyd, Kwiatkowski, Majka ou Rutkiewicz, ils n’entendirent que des silences gênés en guise de réponse. Même chez les équipiers modèles et les jeunes, l’équipe peina à recruter 4 contrats néo-pros :
- Jozef Golec,
- Olgierd Bronowicki,
- Janusz Jezierski,
- Zbigniew Kostera.

Conséquence, le renouveau annoncé à l’automne par Zubrowka fit un bide en hiver, la centaine de journalistes devint une petite dizaine, de rayonnement local, et le grand auditorium de l’hôtel semblait désespérément vide. Malgré la présence de Michal, Li Mei peina à dynamiser la présentation des coureurs et les objectifs de l’équipe. Bruyneel et le directeur de la firme au bison s’enfonçaient dans leurs fauteuils pour mieux se dissimuler.

Image

Objectifs de l’équipe
Top 5 à la Vuelta Mallorca
Maillot de sprinter au Critérium international
Top 10 aux 4 jours de Dunkerque
Victoire d’étape au Tour de Pologne
Top 5 au GP de Wallonie

Planning perso
1er pic fort de fin février à début avril
2ème pic modéré de début août à fin septembre

A titre personnel, j’eus le plaisir de revoir Krzysztof Wolak, il était si fou de joie en me voyant que l’on aurait dit un petit chien fou : « Je sais tout Sew, je sais que c’est grâce à toi que je dois mon embauche dans l’équipe en tant que mécanicien ! Merci mon ami !! » Plein de reconnaissance, il en devenait un peu collant, mais je lui évitais le chômage et le rude travail dans un garage automobile, il pouvait rester dans sa passion du vélo, entouré de sa 2ème famille, bref j’étais fier comme un paon d’avoir changé le destin d’un homme, à moi tout seul. Je découvrais en revanche un aspect plus sombre de la nouvelle direction de Zubrowka : les contrats du médecin vétérinaire, M. Ryszard, et du vieil entraîneur, M. Vlad, n’ont pas été reconduits, les postes seront remplacés prochainement. N’écoutant plus les inepties de Li Mei, je me promis de revoir mes anciens camarades du staff dans les prochains jours…

« Et voici Seweryn Szymaszek (sous les applaudissements moqueurs de Weronika et Edyta, je me raidis soudainement), futur grand flahute et vainqueur du Tour des Flandres ! ». Mais bordel ! Est-ce que quelqu’un peut la faire taire !!
Hors-ligne

alext

  • Messages: 7
  • Inscrit le: 01 Juin 2013, 09:00

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message08 Mai 2014, 11:10

Génial ton récit

Je l'ai commencé hier et il y a aucun tant mort.

Il est super bien fait j'ai hâte de lire la suite. Continue mec :)
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message09 Mai 2014, 15:51

Merci beaucoup !

--
Journal intime de Seweryn Szymaszek

25 janvier 2013
La découverte qui me glaça l’échine


Ça craint mais je crois que Johan Bruyneel m’a à la bonne. Il est vrai que, contrairement à mes petits camarades bisons et conformément à mes principes, je ne l’évite pas, je ne lui réponds pas d’un air renfrogné, bref je ne le juge pas et lui laisse sa chance. C’est un peu douloureux, mais s’il y a bien un principe que je souhaite respecter, c’est bien celui-ci.

Ainsi, le nouveau manager me regarde souvent lorsqu’il s’adresse au groupe, il me demande mon avis sur le programme d’entrainement, il m’interroge sur le ressenti de l’équipe sur telle décision, il m’invite dans son restaurant favori de Varsovie, et j’en passe. J’ai d’ailleurs la très nette impression que les bisons commencent à m’éviter, ils doivent me prendre pour l’espion du boss, ou quelque chose dans le genre. Même Sebastian devient neutre et froid à mon encontre.

Par exemple, hier soir, il est allé manger avec Edyta et ma sœur Weronika, sans me prévenir ! Nous vivons dans le même appartement, c’est mon meilleur ami, il aurait pu me téléphoner au moins. D’un naturel parano et méfiant, et bien pour le coup, celui-ci est revenu au sprint massif ! Et comme souvent, dans ce genre de situation, je me referme dans ma coquille et me complais dans ma solitude. Aujourd’hui, pourtant, j’ai fait une découverte inquiétante qui pourrait tout changer.

Depuis quelques semaines, M. Bruyneel me demandait de réceptionner des colis Chronopost. Il faisait régulièrement des commandes par internet, et comme il s’absentait pour suivre les courses des bisons, il mettait mon adresse pour la livraison des paquets. Puis je les transmettais en main propre au manager, qui me remerciait avec un clin d’œil et une tape amicale dans le dos pour ma précieuse aide. Il devait avoir remarqué que, derrière mon look de rebelle, se cachait un jeune homme obéissant et frustré. Alors en réceptionnant les commandes, j’imaginais qu’il s’agissait de fringues, d’objets divers sans intérêt, j’avais beau secouer les cartons lors des premières réceptions, ma promesse de garder les colis fermés m’obligea à censurer ma curiosité…

Ce matin donc, passablement énervé par mon isolement dans l’équipe, je reportais ma colère sur moi-même et mon manager. On sonna à la porte de l’appartement, Sebastian se promenant à l’extérieur avec Weronika, j’ouvris, le livreur me sourit brièvement et me tendit le colis, « je suis en double-file et le bus est bloqué, bonne journée ». Je n’eus même pas le temps de signer le bon de livraison… ce qui me donna une idée sournoise. J’avais les mains libres pour ouvrir le paquet, il me suffisait d’affirmer qu’aucune livraison n’avait été effectué, ces incapables de Chronopost devait avoir perdu le produit en cours de route. Nyark nyark !

Avec un couteau, j’ouvris le colis avec précaution, je commençais à regarder autour de moi et vérifier si une caméra cachée ne m’épiait pas. La facture indiquait des produits bizarres, comportant des chiffres, des codes incompréhensibles. L’expéditeur chinois n’arrangeait rien à l’affaire. J’ouvris l’étui en plastique, mes pires craintes se confirmèrent, je découvris des flacons mystérieux issus visiblement de l’industrie pharmaceutique et des seringues jetables. L’étiquette des flacons indiquait soit GW1516, soit TB500, je fronçais les sourcils en tournant et retournant l’objet dans tous les sens.

« Put%*$, je le savais que tu te droguais… » A l’accusation de Sebastian, entré en silence dans l’appartement, je sursautai, le cœur battant la chamade. La mine soucieuse de mon ami me rassura, je décidai de briser la glace et lui expliqua les raisons de mon stress matinal. Pendant qu’il étudiait la facture et les produits, je recherchais sur le web les mots-clés et la lecture des premiers liens me firent froid dans le dos. Ces produits qui amélioreraient les performances n’ont même pas été testés sur des hommes, on ne connait pas les conséquences de leurs consommations et le manager veut qu’on les utilise ?! J’étais secoué, mon corps tremblait et cherchait dans ma mémoire défaillante si un membre du nouveau staff eut pu nous injecter ce produit à notre insu. Je commençais à me demander si mon isolement et ma colère récents n’étaient pas le résultat d’un effet secondaire, mais, pour une fois, j’étais rassuré de disposer d’un naturel acariâtre, je n’ai pas besoin de produits chimiques pour devenir débile, maladroit et égocentrique. Ouf !

Maintenant, il va falloir convenir d’un plan d’action, subtil si possible, il est urgent de prendre le temps de bien réfléchir, nous ne savons pas jusqu’où le manager pourrait aller, ni jusqu’où le sponsor au bison pourrait le couvrir… Nous ignorons si d’autres coureurs sont dans la confidence. Par ailleurs, Bruyneel m’utilise comme un petit chiot. Si le pot-au-rose est découvert, il pourra toujours nier et m’accuser de trafic de produits dopants car seul mon nom apparait sur les documents officiels. Il va vraiment falloir être subtil…

Pendant qu’un silence s’imposait dans notre réflexion, Sebastian se tourna vers moi et m’interrogea : « Mais alors au fait ? Tu te drogues ou pas ? ». Mais bordel, j’ai une gueule de junkie ou quoi !

Image
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message12 Mai 2014, 13:43

Journal intime de Seweryn Szymaszek

5 février 2013
La souris de laboratoire des bisons


Comme l’ensemble des bisons, Sebastian et moi avons reçu une convocation de la part du staff de l’équipe pour un stage d’aide à la performance sportive d’excellence. Accueilli dans un hôtel luxueux de la Basse Saxe, l’équipe demanda à un prestataire spécialisé de détailler chaque coureur jusqu’au dernier pore de ses doigts de pied et lui faire passer des tests les plus farfelus les uns que les autres.

Parmi mes camarades bisons, j’ai découvert un visage jusque-là inconnu, il se nomme Jozef Golec. Annoncé parmi les néo-pros 2013, il n’avait jamais été présenté, ni apparu dans nos locaux à Varsovie. Il me semblait très fatigué, malade presque, personne n’osait s’approcher de peur de choper une saloperie, lui, il toussait, reniflait, crachait ses bronches, sans broncher. Il avait la peau sur les os, il semblait si fragile et frêle qu’on l’imaginerait s’envoler au moindre coup de vent, le pauvre.

Comme à l’usine, le prestataire nous réceptionnait un par un, en compagnie du nouveau médecin de Zubrowka. Il fallait remplir un questionnaire sur ses habitudes alimentaires et sanitaires, qui sert de support à un entretien. Les deux spécialistes prodiguent plusieurs conseils, rien d’extraordinaire. Lorsqu’on est sportif de haut-niveau, on dispose d’un héritage génétique favorable : à titre personnel, mon taux de graisse reste en moyenne assez faible, même avec peu d’entrainement. Je me laisse aller à quelques envies passagères, un petit peu de saucisson le matin, du chocolat le soir, ça me suffit.

Les deux médecins procèdent alors aux mesures de base : taille = 1m88, poids = 68kg. Puis viennent des tests plus complexes, sur un vélo d’intérieur, on me pose des capteurs dans tous les sens, sur la poitrine, un masque sur le visage, il ne manquait plus qu’un tuyau dans le derrière pour compléter le tableau… Il fallait accélérer progressivement la difficulté du pédalage, tout en gardant une fréquence régulière, pas si simple avec tout ce barda sur mon corps. Pendant que je fatiguais sérieusement, on me parlait d’électrocardiographe, de cyclo-ergomètre, d’échographie cardiaque, de test VO2max, de fréquence cardiaque max, de puissance maximale aérobie, de vitesse maximale aérobie, de glycolyse aérobie, je ne pigeais rien à leur charabia et, de toute façon, ça ne m’intéressait pas. Le seul truc que je comprenais, c’est qu’il fallait continuer à pédaler comme un rat de laboratoire.

Dans le fond de la salle d’examen, j’apercevais le maigrelet Jozef Golec qui poursuivait ses tests toute la journée. L’inquiétant cobaye, couvert de fils et de tuyaux, me faisait penser à une créature issue des imaginaires de Terry Gilliam et Tim Burton.

Dans la soirée, on me présentait mes brillants résultats de performance : apparemment, je suis bon pour le service. Le manager Bruyneel m’invite à poursuivre mon entrainement flandrien, je pourrais devenir un très bon rouleur et un honorable coureur de classique du printemps. Il proposa de m’afficher comme le leader de l’équipe lors de l’ouverture de la saison cycliste belge, Kuurne-Bruxelles-Kuurne et le circuit Het Nieuwsblad. Je n’eus pas le courage de refuser.

Peu avant de me coucher, je traversais un couloir désert lorsque j’entendais des sons familiers derrière la salle d’examen. J’ouvris et découvris Jozef, qui continuait à tousser, à cracher et à pédaler, toujours en plein test depuis une dizaine d’heure… Il me semblait au bord de l’évanouissement, je lui ordonnais de s’arrêter mais il affirma qu’il n’avait pas le droit, que le médecin de l’équipe reviendra bientôt de son dîner. J’aperçus alors sur une table des flacons que je reconnaissais à mon grand effroi. Je compris que le staff testait le GW1516 et le TB500 sur Jozef, il ne devait même pas le comprendre. Les produits injectés abaissaient ses défenses immunitaires, il chopait tous les virus qui trainaient. J’arrêtais de force le vélo, pris mon jeune camarade dans les bras et l’enveloppa sous une couverture chaude. Il tremblait et répétait : « Non, je dois continuer, je suis fort, je peux y arriver, je veux entrer chez les bisons, c’est mon destin, je deviendrai professionnel et je vaincrai, alors laisse-moi continuer… ». Mais mon étreinte et sa faiblesse l’empêchèrent de se relever.

« Szymaszek ! Vous faites quoi ici ?! ». Le médecin entra rapidement et m’accusa du regard. Je ne pus m’empêcher de baisser les yeux, mais entrevis l’homme dissimuler les flacons sous un tissu. Je lui expliquais que la porte était ouverte et que l’état de Jozef m’inquiétait. Il me répondit d’un ton cassant : « Ça ne vous regarde pas ! Vous perdez les colis du boss et maintenant vous fouinez dans des salles privées ! Je vous ai à l’œil, Szymaszek, méfiez-vous ! ». Je repartis la queue entre les jambes et rejoignis Sebastian dans notre chambre, inquiet pour la santé de Jozef Golec autant que pour mon avenir au sein de l’équipe.

Image
Un résumé rapide de ce séminaire
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message16 Mai 2014, 10:49

Journal intime de Seweryn Szymaszek

13 février 2013
Les meilleurs leçons du manager LeRat


En hommage à l’immense et corpulent feu manager de Zubrowka, j’ai décidé de coucher sur papier les meilleurs conseils technico-philosophiques de M. LeRat. Je réfléchis sérieusement à éditer un guide pratique du jeune cycliste, permettant de perdurer le fol esprit du père de Tomasz et d’inspirer les nouvelles générations polonaises.

Leçon # 1 : “Arrête de freiner dans cette descente de tapette, ferme les yeux et fonce !”

Echappé dans le Paris-Camembert de l’an dernier, le gros manager constatait avec dépit ma peine à me maintenir dans le groupe de tête durant les courtes et raides descentes. La voiture de l’équipe s’approcha de moi et LeRat me postillonna à la figure : “Arrête de freiner dans cette descente de tapette, ferme les yeux et fonce !” Sur le coup, je le regardais quelque peu interloqué.

Mais il avait raison. J’avais peur de chuter et de me blesser, j’avais peur d’avoir mal. Je craignais d’aller trop vite. Lorsque je levais ma roue avant pour éviter un trou dans la chaussée, j’imaginais ma potence avant se désolidariser et le vélo se scratcher à 70km/h. Par beau temps, j’observais fiévreusement la route en quête de plaque de goudron, et lorsque les nuages apparaissaient, je guettais toute trace d’humidité. Je pestais contre les descentes sous les arbres, où le mélange d’ombre et de lumière m’empêchait d’apprécier parfaitement ma trajectoire. Je râlais contre mes lunettes que j’enlevais, puis réajustais, pour les retirer à nouveau, ainsi de suite… Bref, même si je n’en étais jamais vraiment conscient, mes nombreuses chutes passées, en BMX ou sur route, m’ont davantage perturbé que je ne l’imaginais, je descendais la peur au ventre.

Peut-être mais comment tu descends en fermant les yeux ? LeRat avait l’art de se prendre pour Yoda, certes en version cholestérol + alcool, mais pour te laisser comme un con avec des énigmes à deux balles, c’était pareil. Je laissai donc mon manager me faire une poussette pour réintégrer le groupe de tête et réfléchis à sa phrase mystérieuse.

Lors de la descente suivante, fatigué par l’effort, je commençais à m’énerver sur son « Ferme les yeux ! ». Alors, à 75km/h, je fermai les yeux, 1 seconde, 2 secondes. Evitant de peu une chute dans le bas-côté, je ne tins pas la 3ème seconde… Il a trop regardé les dessins-animés japonais ce gars, il croit peut-être que je vais découvrir le 7ème sens sur un vélo, ou quoi ! Pendant que je grognais en pensant à sa phrase, je m’aperçus, en bas de la bosse, que j’avais distancé mes camarades d’échappée !

Il m’avait suffi de fermer les yeux de mes peurs, de faire confiance à mon matériel et de laisser mon instinct tracer les bonnes trajectoires, pour accomplir une descente nibalienne… Cheminant tranquillement le long d’une douce rivière, je ralentis et attendis le groupe d’échappée. Mon manager klaxonna, il m’adressa un poing de vainqueur, j’avais déchiffré son énigme, je lui répondis par un doigt d’honneur et j’entendis son rire s’éloigner, permettant à mes camarades de me rejoindre.

Image
« Bien regarder la sortie de l’épingle », dirait Vlad.
Dernière édition par LeRat le 19 Mai 2014, 14:08, édité 1 fois au total.
Hors-ligne

LeRat

  • Messages: 123
  • Inscrit le: 05 Mai 2013, 11:24

Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message19 Mai 2014, 13:39

Journal intime de Seweryn Szymaszek

28 février 2013
La mise à l’écart


Ça craint mais je crois que Johan Bruyneel ne m’a plus du tout à la bonne. Le médecin a dû lui parler de ma tentative de sauvetage nocturne auprès de Jozef Golec, le jeune néo-pro tout juste embauché par l’équipe pour tester des produits dopants expérimentaux sur le corps humain. Par conséquent, le manager ne me demandait plus de recevoir ses colis suspects, il ne me sélectionna plus pour aucune course, ni n’envisaga de me lancer en leader sur les pré-flandriennes, en fait il ne me parlait plus, il m’ignorait, je n’existais plus.

Il devait avoir des doutes au sujet de ma loyauté, en attendant de me faire taire définitivement, il avait décidé de me mettre sur la touche, dans un placard à double tour, d’avaler la clé et de me rayer de son esprit. Dans un sens, ça me convenait car ses attentions me mettaient à l’écart des coureurs méfiants. Aujourd’hui devenu pestiféré de la direction, ces derniers m’acceptaient à nouveau dans leur clan. D’un autre côté, est-ce qu’il avait engagé un tueur pour éliminer le témoin gênant que je suis devenu ?... Comme d’habitude, Sebastian se moquait de mes craintes, c’était plus fort que lui. Jouant avec une balle en toute décontraction, il s’amusait à détourner mes propos lorsque je couchais par écrit mon « Testament à Edyta – à ouvrir en cas de mauvaise fortune ».

Je profitai de ma mise à l’écart de toute compétition pour revoir l’ancien staff de l’équipe, aujourd’hui en retraite forcée. Nous nous rencontrâmes chez M. Vlad, qui hébergeait sa fille Karolina dans son petit appartement de centre-ville. Celle-ci avait transformé ce simili musée à la gloire de l’art décoratif communiste en un foyer simple et agréable. M. Ryszard lui rendait souvent visite, notre ancien médecin se reconvertissait dans les soins vétérinaires -ce qui finalement correspondait à l’intitulé de son diplôme, il occupait donc un modeste poste dans une clinique clandestine d’animaux exotiques. Il venait régulièrement épater la galerie en emmenant sous le manteau quelques spécimens intrigants, la mygale du jour avait un effet euphorisant sur la fille de M. Vlad, je soupçonnais M. Ryszard d’utiliser ce prétexte animalier pour entretenir une relation avec la jeune dame… En ce qui me concerne, je pris soin de suivre la conversation tout en surveillant la porte de sortie.

J’informais mes anciens camarades de mes malheurs sportifs sans en expliquer les raisons. Apercevant l’œil acéré de M. Vlad lorsque je me déclarais sans entraîneur, je lui demandai s’il pouvait me consacrer du temps pour un travail personnalisé, comme avant quoi ! Sans un mot, il me tendit sa paume, que je topai de la mienne avec un sourire. Je remarquai alors qu’il jeta un regard malicieux sur sa canne posée contre son fauteuil, je sentis un frisson parcourir mon dos et mes épaules meurtris. Mon sourire s’effaça aussitôt, pas le sien.

Image
PrécédentSuivant

Retour vers Récits / Stories

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant actuellement ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 5 invité(s)

cron