Journal intime de Seweryn Szymaszek
20 septembre 2013
L’idée stupide 8h27 : Je descends avec Seb prendre mon petit-déjeuner, mon chien de garde m’épie encore et toujours, nous l’avons baptisé Fafa, il rejoint notre table sans un bonjour.
8h51 : Il m’accompagne dans ma chambre, il n’a pas demandé la moindre autorisation, je peux me brosser les dents tranquille ?
9h03 : Maciej nous fait un briefing rapide du GP de Wallonie, je vise le Top 10 et sais que je n’ai aucune chance, les gars sont sympas, ils vont m’aider, Fafa note l’information dans son carnet.
9h32 : De retour dans la chambre, pudique, je m’habille dans la salle de bain pour éviter le regard indiscret du chien.
9h47 : Je prends mon vélo près du mini-bus, Fafa me pose quelques questions fades et note mes réponses.
10h15 : Départ de la course, ouf, ça fait du bien de se débarrasser de cette plaie.
10h29 : J’accompagne une attaque pour me placer dans l’échappée du jour, je sais pertinement que la montée finale vers la citadelle de Namur n’est pas à mon avantage face aux punchers.
11h31 : Placé dans l’échappée, je m’aperçois que Fafa me suit sur une moto, il me photographie et épie le moindre de mes gestes, bon sang ! ce n’est pas un chien, c’est un pou !
14h03 : Fafa se place à mes côtés et ose m’interroger sur le retour du peloton, « Oui, les BMC roulent pour Gilbert, c’est normal… » Et sinon, ma main, tu la veux dans ta gueule ?
14h50 : Alors que le peloton fond sur l’échappée, Fafa me propose d’attaquer en profitant de son aspiration opportune… en toute innocence… je ne le regarde même pas…
14h52 : Le peloton nous a reprit, cela me réjouit presque…
15h18 : On attaque la citadelle, je suis cuit et indique à Seb de ne pas m’attendre.
15h29 : Jan Bakelants remporte la course, juste devant Mateusz Kemar, qui a su jouer à merveille sa carte personnelle.
15h35 : Fafa m’attend sur la ligne d’arrivée, il demande mes impressions sur la course. Pour clore l’entrevue, je lui réponds que la journée a été longue. Il parvient à se faufiler dans notre mini-bus et s’assoit à mes côtés, la journée va vraiment être longue…
15h42 : Maciej Bodnar félicite Mateusz Kemar pour son beau podium, « même si le ProTour n’est plus notre objectif désormais… Comme tu le sais, notre cote de popularité ne nous permet pas d’embaucher des stars ! C’est aussi pour cela que Rafal Janik suit Seweryn, nous avons besoin d’une meilleure image, c’est l’opération Reconquête des cœurs ! Oui, c’est un peu gerbant, mais c’est cette politique que l’équipe a voté en AG. »
16h51 : Séance massage à l’hôtel, Fafa est toujours à mes côtés, « Sew, tu vois, les gens ont besoin de story-telling, ils ont besoin d’un vrai personnage attachant pour accrocher une histoire, c’est toi le héros du récit ! Mais j’ai besoin que tu m’en dises un peu plus pour construire mon histoire, ton enfance, ton adolescence, tes amours, ton arrivée dans le vélo, tes rencontres, tes idoles, je dois te connaitre de A à Z ! Allez, parle-moi de tes parents… ». Je soupire et rêve de me trouver loin, très loin d’ici.
17h02 : J’achève de raconter ma vie de A à Z, Fafa semble dubitatif : « Oui bon, j’espère que cela ne te dérangera pas, mais comme je te l’ai dis, les gens ont besoin d’un story-telling accrocheur, et là… euh… Donc si ça t’embête pas trop, je vais arranger un peu le background, rien de bien méchant, juste de la mise en forme par-ci par-là, ok ? ». Fais ce que tu veux, tant que tu me laisses respirer…
18h12 : Dîner entre bisons, un bonnne grosse platrée de pâtes, miam ! Fafa me laisse enfin tranquille, il interroge tour à tour mes co-équipiers. Lorsque vient l'entrevue de Sebastian, je les vois glousser en me regardant, le chien-pou journaliste note des informations à connotation humoristique sur son carnet, je baisse le menton vers mon plat pour ne pas leur offrir mon visage rougi de colère.
19h33 : Petite promenade dans la cité calme avec mes camarades
20h08 : Il pleut, nous rentrons en courrant, Fafa glisse sur une flaque et s’explose le menton en tombant sur les pavés. Malgré sa blessure, je ne peux m’empêcher de sourire en constatant son carnet dans la boue, complètement foutu.
21h32 : Soigné et remis d’aplomb, Fafa revient me voir d’un air désolé. « Ecoute Sew, je suis désolé, je sais que la ‘chronique du néo-pro’ te tenait à cœur, il va falloir qu’on recommence depuis le début, j’ai tout perdu dans ma chute. D’un autre côté, ça nous permettra de profiter davantage l’un de l’autre ! ». J’essuie une larme et haït intérieurement Li Mei, l’auteur de cette stupide idée.