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[Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro - fini !

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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message16 Juin 2014, 14:42

Journal intime de Seweryn Szymaszek

29 avril 2013
Le plan d’action


Le soir de ma course en compagnie de Jozef Golec, et suite à sa crise de douleur, mon ami Sebastian, ma sœur Weronika, l’amour de ma vie Edyta et moi tenions un conseil de guerre dans notre appartement à Varsovie. Que faire ? Qui alerter ? Nos voisines, exitées par ce scénario de film d’espionnage, proposaient mille solutions impossibles. Prévenir les collègues de l’équipe ? peut-être certains en savent plus qu’ils n’en ont l’air. Faire l’indic à la police ? ils ont d’autres chats à fouetter. Prévenir la fédération polonaise de cyclisme ou le ministère des sports ? pourquoi pas, mais si la puissante firme Zubrowka est dans la combine chimique de Bruyneel et influence les dirigeants et hauts fonctionnaires de ces instances, nous sommes grillés. Envoyer des lettres de menace anonymes au manager belge ? cela risque de virer à la chasse au corbeau chez les bisons. Lancer une révolution au sein de l’équipe ? Organiser un kidnapping de Jozef ? Engager des tueurs de la mafia russe pour éliminer Bruyneel ? Les hypothèses devenaient peu à peu indécentes, mes amis s’en amusaient, je ne trouvais pas la situation aussi propice au rire et jettais un froid : « Bon sang, vous ne voyez pas qu’il y a un jeune qui souffre le martyr, vous ne voyez pas que je suis déjà à moitié viré de l’équipe, et ça vous fait rire !? ». Je m’excusais aussitôt les yeux embrumés, mes amis me laissèrent quelques secondes de répit, Sebastian proposa un plan d’action qui reçut l’aval des membres de l’alliance.
    1. Informer Vlad de la situation ; ancien membre du staff, viré par Bruyneel, il nous aidera à trouver un journaliste indépendant, si possible de nationalité étrangère.
    2. Se rendre dans un lieu public pour rencontrer le journaliste.
    3. Avoir des garanties d’anonymat.
    4. Mettre en prison Bruyneel et sa clique, sauver Jozef.

Le lendemain, pendant notre pause matinale sur les routes froides de Pologne, je demandai innocemment au vieux Vlad s’il avait déjà été confronté au dopage pendant sa carrière d’entraîneur. « Oui bien sûr, le goth. Surtout dans le milieu amateur, d’ailleurs. Mais c’était LeRat qui gérait ces problèmes, moi mon boulot consistait à transformer les jeunes coureurs en pros, point barre ! Si tu veux mon avis, les équipes qui systématisaient le dopage embauchaient des médecins du sport reconnus et spécialisés, le médecin des bisons, lui, était vétérinaire... alors bon… Pourquoi tu me poses toutes ces questions, petit ? ». Je saisîs la perche et avouai à mon coach l’origine de mes interrogations, le colis ouvert, les produits, Jozef, sa douleur… Je ne supportais plus d’être le témoin passif de ce drame et souhaitais tout déballer à un journaliste, mais qui ? « Je ne sais pas. Tu sais, je ne me déplaçais jamais avec l’équipe à l’étranger, à vrai dire, je ne suis jamais sorti des frontières, à part mon merveilleux voyage de noce en Roumanie sur la Mer Noire… Peut-être Ryzsard… ».

L’après-midi, nous rencontrâmes l’ancien médecin vétérinaire des bisons, en compagnie de son chien Pirato et de sa petite amie Karolina, sous le regard suspicieux de son père. Pendant que la fille de Vlad sortait la grosse boule de poil baptisée en hommage à Pantani, Ryszard fouilla dans sa mémoire : « Mmh… en France, il y a ce journaleux sportif à son compte, il s’appelle Pierre je crois. Il a eu des problèmes avec le milieu cycliste, avec son ancien employeur, avec à peu près tout le monde dans le peloton, mais peut-être que ton affaire pourrait l’intéresser… Je l’ai rencontré une fois, il y a une bonne dizaine d’années, il m’avait l’air d’un sacré petit fouineur, parfait pour le job ! ». Je remerciais mes vieux amis en leur demandant de rester discret et, de retour à l’appartement, googlisait le nom du journaliste en quête de coordonnées. Après deux heures de recherche infructueuse, je prîs la décision de contacter son éditeur.

Je sortis dans la rue et utilisai tous les trucs de détective pour reconnaitre une filature : arrêt sur un banc, attente et observation, tourner en rond sur un pâté de maison et entrer dans une boutique après un angle pour voir qui passe dans la rue (la boulangère ne dut pas comprendre lorsque je scrutai la rue et pas ses merveilleuses patisseries), changer de moyen de transport soudainement, etc. Rassuré, je me rendis dans un cybercafé de l’autre côté de la capitale, créai une messagerie anonyme et envoyai un mail en anglais à l’éditeur (Edyta m’a gentiment épaulé pour le rédiger). Il fallait m’armer de patience à présent.

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L’un de mes héros, detective Conan
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fufu

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message18 Juin 2014, 03:12

Ahah^^, faudra que je teste le coup de la chanson dans les moments délicats :lol: , et l'intro du morceau de Gossip Heavy Cross m'a vraiment rappelé le bruit de la chaîne du vélo qui croise trop contre le dérailleur :lol:
Continu comme ça en tout cas, c'est toujours aussi génial ton récit, franchement y a rien à redire !
Fan de Cancellara
Suivez mon récit Tour de France 2010 où suspense, émotion, passion rythme cette Grande Boucle : http://www.cyanide-studio.com/forumPCM/viewtopic.php?f=73&t=12797
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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message18 Juin 2014, 16:19

fufu a écrit:Ahah^^, faudra que je teste le coup de la chanson dans les moments délicats :lol: , et l'intro du morceau de Gossip Heavy Cross m'a vraiment rappelé le bruit de la chaîne du vélo qui croise trop contre le dérailleur :lol:

En fait, c'est quasi du vécu ! :D

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Journal intime de Seweryn Szymaszek

5 mai 2013
Le défi


Il y a quelques jours, Edyta et Weronika ont eu le malheur de me demander d’inviter Ryszard, Vlad et Karolina pour un dîner dans notre appartement à Seb et moi. Bien entendu, la veille, nous apprimes de leurs beaux sourires moqueurs que les hôtes devaient se charger du repas… Mon camarade et moi improvisâmes donc des courses à la va-vite à base de biscuits apéritifs et de surgelés. Pendant le repas, grisée par l’eau-de-vie de poire fabriquée par la fille de Vlad, la conversation s’égayait.

Devant les moqueries incessantes de mes voisines de palier, mon vieux coach me defendit comme un père : « Vous savez les filles, le goth, c’est un vrai gars qu’en a ! Ce matin, il a roulé comme un vrai petit démon, il aurait pu finir le Tour des Flandres… » et il acheva sa phrase comme s’il l’avait coupée en plein milieu, comme s’il avait oublié la fin, perdu dans ses pensées éthérées. Surpris de son compliment, je le relançai avidement : « … dans les quoi ? 10 premiers ? 20 premiers ? 30 premiers ? ». « Hein ?! non non petit, j’avais fini ma phrase… », un éclat de rire général finît de me plonger dans une honte révoltée. Le visage pourpre, je rétorquais avec effronterie que le Tour des Flandres, je le prenais, je le retournais et je l’éclatais, enfin un truc dans le genre, je me souviens plus exactement. Le visage de Vlad se fit tout à coup sévère et solennel : « Ah ! Le Tour des Flandres, le goth, tu ne sais pas ce que c’est ! c’est 180 hommes –des vrais, pas des gamins- qui se battent contre des routes étroites, des dizaines de murs et de descentes qui s’enchainent à un rythme insoutenable, avec des pavés qui te dézinguent le crâne, du vent à décorner les bisons, de la pluie incessante et du froid à te geler le cœur, des cris de spectateurs à te faire péter les tympans, des changements de vitesses à en avoir des crampes aux doigts, des crevaisons, des chutes, des blocages et des relances, le Tour des Flandres, mon petit Seweryn, c’est l’enfer ! ». Au terme de ce poignant discours, un ange passa.

« En attendant, vous parlez mais vous n’y êtes jamais allé, là-bas… ». Je cherchais qui avait pu répondre de la sorte au vieil entraîneur, mais remarquant les regards abasourdis se tourner vers moi, je compris que j’en étais l’auteur. Qu’est-ce qui m’a pris, je ne sais pas. Je m’attendais à une réponse cinglante et violente de Vlad, voire de Hilda, mais il baissait la tête tristement. Weronika m’assassina du regard, suivi rapidement d’Edyta. Pendant que la fille de Vlad posa une main sur celle de son père, j’ajoutais maladroitement : « Mais justement ! Voilà une occasion unique de nous rendre sur ces terres sacrées du vélo ! Je vais faire un Tour des Flandres solo, tu vas venir avec moi et je te prouverai que je suis à la hauteur de cet enfer ! ». « Et moi alors ? Je veux y aller aussi ! », ajouta Sebastian, avant que l’ensemble de la tablée s’invite à son tour. Mes voisines commençaient à organiser les agendas des participants et la logistique nécessaire. Vlad me jetta un regard ému que je ne lui avais jamais vu auparavant.

Bon, et puis, je ne suis plus à une galère près de toute façon…

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Bientôt mon tour… gloups !
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flopi44

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message19 Juin 2014, 15:14

C'est génial, je suis fan continue ainsi !!!
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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message25 Juin 2014, 12:36

Journal intime de Seweryn Szymaszek

11 mai 2013
Les meilleurs leçons du manager LeRat


En hommage à l’immense et corpulent feu manager de Zubrowka, j’ai décidé de coucher sur papier les meilleurs conseils technico-philosophiques de M. LeRat.

Leçon # 4 : “ Le mariage rend lent, il faut gagner pour pécho ”

Michal Gulas est un ancien de l’équipe. Doté d’un potentiel honorable, il a gagné quelques courses lors de sprints en petit comité. Réputé pour son éventail de petites amies à travers l’Europe, il m’a un soir raconté sa triste histoire d’amour. A l’âge de 25 ans, il devait épouser une jeune femme qu’il aimait et qui l’aimait, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Mais les résultats de Michal lors des mois précédents devenaient décevants, finissant régulièrement les courses dans les dernières positions.

Un soir après une course, le manager LeRat l’invita dans un club fourni en jeunes et pulpeuses escort-girls, il lui donna quelques billets « pour s’amuser ». Le coureur, interloqué, ne comprit pas. « Ecoute Mich’, la monotonie d’un ménage rend lent, le mariage te rend mauvais, je ne te demande pas de gagner 10 courses par an, mais là, tu n’es pas au niveau. Tu sais, le grand secret, c’est que pour pécho, il faut gagner. Et pour gagner, il faut pécho. C’est ça, le cercle vertueux de la motivation ultime ! », acheva-t-il pointant le doigt vers le ciel avec toute la grandeur que lui permet son corps ventru. Michal se moqua de son coach, tout en se demandant s’il n’y avait pas un fond de vérité, caché sous ces théories fumeuses et glauques.

Pendant quelques mois, Gulas terminait ses courses sur les rotules en fin de peloton, quand il arrivait à les finir… Son humeur s’assombrissait et ses relations avec sa future épouse suivaient la même trajectoire. LeRat exortait son poulain à se remotiver pour redevenir le jeune coureur dynamique qu’il était, sans quoi ce serait sa dernière saison pro.

Un soir, lors d’une sombre épreuve de seconde zone en Hongrie, Gulas déprimait dans le bar sordide de son hôtel. Son regard fut alors littéralement hypnotisé et attisé par une jeune femme seule, le corps détrempé par l’orage d’été, perdue avec sa valise dans le hall d’entrée. Michal n’eut pas le temps de réfléchir qu’il se portat au secours de l’être fragile. Ils discutèrent et rièrent jusqu’à tard, cependant Michal refusa l’invitation de sa partenaire du soir lorsqu’elle lui lança un clin d’œil en ouvrant la porte de sa chambre. Le lendemain, Michal prit l’échappée du jour, produisit un effort important pour empêcher le retour du peloton et remporta le sprint final. De retour au bar de l’hôtel, il passa une nouvelle soirée avec sa compagne de la veille, elle le félicita d’une bise au coin de la bouche. Il ne tint pas davantage et acheva sa nuit dans un autre lit que le sien… Le matin, la jeune femme avait disparu, laissant ses coordonnées contre la lampe de chevet.

Michal remporta le classement général de la course hongroise, avec les félicitations du manager LeRat. « Si tu continues comme ça, tu seras toujours un bison l’an prochain, c’est bien ce que tu veux Mich’, n’est-ce pas ? ». Le jeune coureur ne répondit pas à son coach, il se laissa quelques jours de réflexion. A deux semaines de son mariage, Michal Gulas quitta sa future épouse, la laissant pleurer sans broncher sa haine, sa honte et sa rage. Il se classa sur des podiums de plusieurs courses et sauva sa tête chez les bisons. Il avait fait son choix de vie et l’assuma parfaitement. Encore aujourd’hui, il m’arrive pourtant de remarquer une pointe d’amertume dans son regard lorsqu’un jeune couple et leurs enfants promènent leur air heureux dans la rue.

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Pécs, où s’est joué le destin de Michal
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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message27 Juin 2014, 15:32

Journal intime de Seweryn Szymaszek

20 mai 2013
Le baiser


Les résultats des bisons s’améliorent clairement entre mars et mai. Bodnar prend la 4ème place au général du Volta ao Distrito de Santarém, et la 3ème place du Circuit de la Sarthe et du Volta ao Alentejo em Bicicleta. Zuelinski remporte le Grand Prix Cholet-Pays de la Loire, Marczynski grimpe à la 2nde position du Ronde van Drenthe. Il laisse sa place de leader à Kemar à partir de Mai, celui-ci ne tarde pas à faire des étincelles, 3ème au Trophée des grimpeurs et 2ème au général des 4 jours de Dunkerque. A la course à la montée au ProTour, l’équipe Zubrowka monte à la 4ème place du classement Continental.

Pendant ce temps, malgré plusieurs relances, la réponse de l’éditeur du journaliste tardait. Déséspéré, je commençais à réfléchir à un plan B quand je reçus un mail sur ma modeste boite confidentiel (gothboy_ronde-winner@xxxxx.com). Pierre B. me répondit directement et souhaitait en savoir davantage sur mon témoignage. Heureusement, Edyta, à mi-temps dans un fast-food, l’autre mi-temps sur son blog dessiné tendance, ne travaillait pas ce jour-là. Elle me rejoignit rapidement dans le cybercafé, je la soupçonnai de ne pas avoir procéder aux mesures anti-filatures indispensables en pareil cas… Toute excitée, elle prît ma place devant le clavier, je voulus protester mais, sentant tout à coup la chaleur de son visage si proche du mien et le parfum fruité sur sa peau, mon cerveau s’étourdit, je la regardais hébété envoyer un message au journaliste en anglais.

Il nous répondit rapidement, souhaitant me rencontrer dès que possible. Nous avions convenu du rendez-vous à proposer, en amont avec les membres de l’ARB, cette Alliance révolutionnaire des bisons, fondée sur l’idée absurde de ma folle de sœur et composé de Seb, moi, Weronika, Edyta, Ryszard, Vlad et Karolina. Ma jeune amie transmit alors le mail suivant :

« Cher monsieur,
Je vous remercie de votre réponse.
Etant en déplacement en Belgique et dans le Nord de la France du 25 mai au 7 juin prochain, je vous propose de nous rencontrer au lieu et date suivante :

Le Mardi 4 juin à 12h
Au restaurant de l’Arbre
Carrefour de l’Arbre du Paris-Roubaix

Ce rendez-vous se tiendra en compagnie de 3 autres personnes de confiance : Sebastian Lenczewski, camarade néo-pro de mon équipe, Weronika Klorek, ma sœur et conseillère, et Edyta Szymaszek, ma traductrice.

Je vous prie de bien vouloir m’indiquer si ce rendez-vous vous convient.
Je vous remercie et reste à votre disposition.
Bien à vous,
Seweryn Szymaszek. »


Pierre B. ne tarda pas à répondre par la positive, je reçus le mail du journaliste comme un coup de poing, devant faire face à un saut dans l’inconnu. Enivrée, Edyta embrassa mes lèvres avec tendresse, je realisai le geste amoureux de mon amie d’enfance et tombai dans les pommes par un double KO !

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Le restaurant de l’Arbre où se jouera mon destin
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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message04 Juil 2014, 14:02

Journal intime de Seweryn Szymaszek

31 mai 2013
Mon Ronde


Mon vélo souffrait autant que mon corps. Après 6 heures sur les pavés et les monts, nous capitulâmes simultanément, mon pneu arrière crevait pour la 2ème fois et mes jambes ne me portaient plus. Assis sur le bord du Taaienberg, je laissai Seb lutter seul contre les pavés, affronter d’autres monstres. J’étais à bout de souffle, vidé, vaincu. Pendant plusieurs minutes, j’observais des cyclistes amateurs grimper le mur, certains à pied, d’autres avec souplesse, la plupart en force. Une voiture s’arrêta à mes côtés, j’essayai de me relever, mes cuisses me firent défauts, je me renversais sur le flanc comme un nouveau né. Vlad vint à ma hauteur et m’aida à grimper dans le véhicule pendant que Ryszard installa le vélo sur le toit. « C’est pas mal, le goth ! Je pensais que tu craquerais bien avant… ». Sur le mont suivant, Sebastian s’inclina devant l’enfer flamand, il nous attendait. Dans la camionette revenant vers notre camping, nul n’ouvrit la bouche, je remerciais intérieurement mon entraineur de ne pas me rappeler mon défi. J’avais perdu, c’est tout.

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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message10 Juil 2014, 11:26

Journal intime de Seweryn Szymaszek

5 juin 2013
La rencontre avec Pierre


Il était 11h40. Je me tenais droit au milieu du Carrefour de l’Arbre, les yeux fermés en respirant profondément l’Histoire de ce lieu mythique. J’imaginais qu’un jour peut-être, j’accomplirai un exploit moi aussi sur ces terres. «Dégage connard ! tu vois pas que tu gènes». Je me détournais de ces cyclistes chauffards dont je ne compris pas un mot, on dit que les conducteurs français conduisent mal mais ce ne sont pas les seuls !... Vlad, Ryszard et Karolina vadrouillaient dans la région industrielle avec leur camping-car de location. La relation du médecin avec la fille de son ami électrisait toujours l’atmosphère, ce qui devait s’amplifier avec la promiscuité, mais on ne me rapporta pour autant aucun problème. Seb, Edyta, Weronika et moi avions garé la voiture, surmontée de deux vélos. Il faisait beau, un vent frais soufflait sur le Nord, à midi, nous entrâmes dans le restaurant.

Mon cœur battait vite, j’allais rencontrer un journaliste, ma carrière sportive pourrait prendre un tournant, je n’étais par ailleurs jamais entré dans un restaurant comportant une étoile, s’il ne me sembla pas aussi chic que je le craignais, ses prix dépassaient légèrement mon budget… La veille, Sebastian et moi avions bouclé un mini Paris-Roubaix, franchissant les secteurs les plus importants du parcours. Plus adapté à ce type de relief, j’avais abrité mon camarade une grande partie de la journée, nos entraîneurs nous attendaient à l’Arbre, notre ligne d’arrivée. J’étais aussi éreinté par l’usure d’Eole qu’heureux d’en terminer.

Pierre B. arriva peu après midi en souriant, il se présenta, Weronika faisait l’interprête à merveille. Journaliste dans un grand quotidien sportif français, il travaillait beaucoup sur le thème du dopage et écrivit plusieurs livres sur le sujet. Il enquêta si bien que cela se répercuta sur ses relations avec son employeur qui le limogea. Il poursuivait depuis, son activité en free-lance. Puis, il me demanda s’il pouvait enregistrer la conversation, j’acquiescai. Il appuya sur le bouton Record de son enregistreur MP3, je pris ma respiration et commençai mon histoire.

Après une heure de question-réponse, Pierre m’interrogea sur les documents à ma disposition qui pourrait appuyer mes dires. Je lui présentais les produits dopants découverts dans les colis, ainsi que la facture afférente. Malheureusement, celle-ci n’est pas au nom du manager belge, ni de l’un des membres de son staff, mais à un nom de société tiers inconnue. « Avez-vous un autre document écrit ? un courrier, un mail de Bruyneel où il évoquerait le dopage ? », Seb et moi sécouâmes la tête. Pierre me regarda attentivement : « Seriez-vous prêt à témoigner officiellement ? ou bien ce Jozef Golec ? ». En lui demandant si je pouvais conserver l’anonymat, il me répondit qu’un témoignage officiel nécessitait de se découvrir et signer un procès-verbal. Mon cœur fit un bond. Pierre remarqua ma douloureuse réflexion : « Ecoutez Seweryn, même si votre témoignage était anonyme, mon article sur l’équipe Zubrowka indiquera forcément une source interne, Bruyneel cherchera forcément cette balance ! Par ailleurs, n’oubliez pas votre jeune ami, Jozef… (silence) A moins que vous ne me trouviez un document, une preuve matérielle et formelle, j’aurai besoin de votre parole. ».

Pendant qu’une douce ambiance baignait dans le restaurant, un lourd silence s’installa à notre table. Le serveur nous tendit l’addition, Edyta l’accepta avec un sourire. Nous payâmes et nous levâmes rapidement. La conversation avec Pierre s’acheva par cette réflexion profonde que je devais affronter. Témoigner officiellement signifiait devenir clairement une balance au sein du peloton, où l’omerta règnait en maîtresse. Toute mon enfance, j’ai été rejeté, je refusais de revivre douleur pareil… En fait, témoigner pourrait stopper purement et simplement ma carrière cycliste. Que faire ?...

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Un peu trop chic pour moi…
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LeRat

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message11 Août 2014, 14:10

Journal intime de Seweryn Szymaszek

16 juin 2013
Les meilleurs leçons du manager LeRat


En hommage à l’immense et corpulent feu manager de Zubrowka, j’ai décidé de coucher sur papier les meilleurs conseils technico-philosophiques de M. LeRat.

Leçon # 5 : “ Arrête de vouloir te faire des copains, le peloton n’est pas ton pote ”

J’ai compris que Mateusz Kemar n’était pas qu’un simple connard lors de la 3ème étape du Tour de Calabre 2012. Ce matin-là, Mateusz occupait le leadership au classement général avec des profils favorables en perspective, et comme souvent dans ces circonstances, il faisait le coq, bombant le torse et toisant ses adversaires. Cet orgueil pouvait sembler légitime aux yeux du peloton à condition que l’animal domine son sujet, c’était le cas d’un Hinault ou d’un Armstrong dont la puissance imposait de fait le respect. Or Mateusz n’était rien d’autre qu’un modeste co-leader d’une équipe de 3ème catégorie. Aussi lorsqu’il paradait avec son maillot distinctif au départ de la course, il s’attira quelques sifflets, voire des quolibets dont je ne comprenais pas le sens, mais suffisamment expressifs et accompagnés de sourires moqueurs qui ne laissaient aucun doute. Le bison se contenta de les ignorer, il semblait bien seul et je ne pus m’empêcher de le plaindre.

A l’instant où les moqueries se diffusèrent au sein du peloton pied à terre, Kemar posa calmement son vélo et, debout, les bras croisés, faisait face à ses 80 adversaires, sans émotion. Malheureusement cette réaction eut l’effet contraire à son objectif premier car une vague de rires se propagea chez les coureurs… Mateusz se dirigea donc vers l’organisateur de la course, qui, sur le bas-côté, observait la scène sans comprendre, avec son pistolet-starter à la main. Mon leader prit l’objet des mains de l’officiel, un peu fautif sur le coup (sans doute une habitude calabraise), et le pointa d’un geste froid en direction du peloton. Soudain, les premières rangées de coureurs se jetèrent au sol en désordre, certains se dissimulaient derrière leur bicyclette, d’autres poussaient de petits cris appeurés en tombant sur leurs voisins. Lorsque le bison changeait sa cible, les gestes primaires d’autoprotection se propageaient en une belle vague panique. Mateusz lançait alors en polonais : « Alors ? c’est qui qui rigole maintenant, hein ? c’est qui ? ». Je demeurais bouche bée.

Il rendit l’arme à l’organisteur aussi vite qu’il l’avait subtilisé et lui demanda de l’utiliser sans tarder. Celui-ci, encore sous le choc, n’eut pas le temps de réfléchir à une éventuelle sanction et s’exécuta. Le peloton reçut la détonation comme un coup de poignard dans le cœur, Mateusz, lui, lança seul son vélo sur les premiers kilomètres de l’épreuve italienne. Il jeta un coup d’œil en coin vers l’arrière et vit en souriant le peloton se relever dans une pagaille certaine.

Toute la journée, mon leader reçut des insultes et des crachats, l’ensemble du peloton se ligua pour le faire perdre. Il faillit échouer car rien ne touchait Kemar, il resta concentré, imperturbable, habité par une totale indifférence. Ce jour-là, je compris que cet homme n’était pas qu’un simple connard. Même s’il était capable de la pire bétise, il faisait preuve d’un courage aveugle et d’un cœur insensible, il ne doutait jamais, ni ne se remettait en question, il avait une confiance en soi inébranlable. Par tous ces aspects, il était mon exact contraire et je l’admirais pour cela.

Le soir, le coach LeRat machait son cigare, confortablement affalé sur le fauteuil du bar de l’hôtel. Je l’interrogeais sur l’évenement du jour : « Vous ne trouvez pas qu’il est allé un peu loin ce matin, coach ? ». Remarquant les volutes épaisses de fumée s’extraire des lèvres épaisses de mon manager, le gérant de l’hôtel lui adressait un regard inquisiteur appuyé. LeRat faisait mine de ne pas le remarquer : « Tu sais, le goth, il faut que tu arrêtes de vouloir à tout prix de faire des copains, le peloton n’est pas ton pote et il faut savoir parfois lui dire fùck ! », acheva-t-il par un clin d’œil.

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Drôle de semaine en Calabre
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alext

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Re: [Żubrówka] Le journal intime d’un néo-pro

Message11 Août 2014, 18:30

Tu sais, le goth, il faut que tu arrêtes de vouloir à tout prix de faire des copains, le peloton n’est pas ton pote et il faut savoir parfois lui dire fùck ! », acheva-t-il par un clin d’œil.
M. Le Rat et ces conseils :D

Une story toujours aussi génial continue mec :)
Dernière édition par alext le 11 Août 2014, 18:31, édité 1 fois au total.
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