Journal intime de Seweryn Szymaszek
17 avril 2013
Les meilleurs leçons du manager LeRatEn hommage à l’immense et corpulent feu manager de Zubrowka, j’ai décidé de coucher sur papier les meilleurs conseils technico-philosophiques de M. LeRat.
Leçon # 3 : “ Tu souffres ? Chante ! ” La quatrième étape de la
Vuelta a Burgos 2012 sévît en pleine montagne et sous la chaleur torride d’un mois d’août ibérique. Malgré ma forme de l’époque, je peinais à me maintenir dans le gruppetto lors du 2ème col de la journée. Au delà, il restait 30kms de descente et de plat dans la vallée, suivis par la montée finale. La gueule ouverte à fureter la moindre trace d’humidité dans l’air, la poitrine découverte, les cheveux dégoulinant, j’indiquais aux rares spectateurs ma soif par un geste répété mille fois, ma quête d’eau fraîche faisait rire mes collègues retardataires, pas moi. C’était la première véritable course de montagne de ma vie, je souffrais terriblement.
Avant de remonter rejoindre les deux leaders des bisons, Kemar et Marczynski à l’avant, le manager LeRat ralentit à ma hauteur en remarquant mon manège. « Tu souffres le goth ? c’est bien, c’est bien, c’est ça le vélo, tu sais ! Si tu souffres, chantes, ça ira mieux. Allez, essaie de ne pas abandonner, à ce soir. » Il accéléra et disparut dans un nuage de poussière.
Stupide et obéissant, je chantonnais un air souffreteux improvisé. Composé non pas de mélodie, mais uniquement d’un vocable à base de douleur, d’insultes et de gémissements, l’exercice me fatigua rapidement, je finis par l’abandonner. Peu à peu, je rétrogradais au sein du gruppetto et commençais à perdre plusieurs mètres sur mes compagnons, l’espoir m’abandonnait. Je me retrouvais bientôt seul, sur ce col interminable et sous une chaleur écrasante. J’envisageais sérieusement de décevoir mon manager.
Peu à peu, seul écrasé dans la sierra, un rythme attira mon attention. Ma chaîne grinçait faiblement et mon pédalier émettait un petit clac en contrepoint. Je calais ma respiration sur ce rythme et me concentrais profondément à cette tâche. Mon pouls, affolé par le cagnard, lançait un beat techno à tendance hardcore. Une basse disco naissait lentement dans mon esprit, pendant qu’une guitare noisy punk salissait la partition de ses arpèges sauvages et secs. La voix puissante de Beth Ditto, chanteuse imposante de Gossip, introduisait calmement
Heavy Cross. Lorsque la caisse claire claqua sur le refrain puissant, je me mis en danseuse et dodelinait de la tête sur cet air hypnotique, puis revins sur la selle lors des couplets reposants. La chanson dura près d’une heure.
Je rattrapais le gruppetto dans la vallée et, dynamité par l’hymne rock, le doublait sous le regard médusé de mes camarades retardataires lors de l’ultime ascension. Mes deux leaders, Marczynski et Kemar, arrivèrent au-delà de la 30ème place, difficile journée pour les bisons. Le manager LeRat faisait la tête près de la ligne, mais, m’observant être sur le point de rattraper mon ami néo-pro Sebastian Lenczewski, il s’inquiéta vivement : « T’as le regard dans le vide, le goth. Tu m’entends ? Seweryn !! ». Alors qu’il m’appela par mon prénom pour la 1ère fois, LeRat me lança un seau d’eau glacé. Le choc thermique me réveilla tout à coup de mon concert punk-rock imaginaire. « Ca va ? », s’enquit-il. Je lui souris : « La chanson était bien ! ».